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Une histoire de la collecte d'eau de pluie en France

Mis à jour le 7 novembre 2023
Collecte de l'eau de pluie dans un jardin

Ce qu'il faut retenir

  • La pluie a pendant longtemps été une source d'eau potable fiable alors que les eaux de puits et de surface pouvaient être polluées et que certains lieux n'avaient accès à aucune autre source d'eau.
  • Les habitations de l'antiquité au 19ème siècle étaient fréquemment équipées de systèmes de collecte d'eau de pluie.
  • Les principes de construction des systèmes de collecte d'eau de pluie n'ont pas changé depuis l'antiquité à aujourd'hui.

Introduction

Si les besoins fondamentaux en eau semblent avoir peu changés depuis la naissance de l'humanité : l'Homme en dépend pour vivre, la consomme, l'utilise pour son hygiène et pour cultiver sa nourriture ; notre rapport à l'eau et nos méthodes d'approvisionnement ont, quant à elles, beaucoup évolué.

Aujourd'hui, l'eau est une commodité qu'on utilise en abondance sans avoir besoin d'y penser. Elle est prélevée, filtrée, desinfectée, contrôlée par rapport aux critères de potabilité inscrits dans la loi, puis distribuée par le réseau public de distribution dans nos maisons, où on l'utilise pour tous les usages domestiques, des plus fondamentaux, aux plus modernes.

Avant que la révolution des réseaux de distribution d'eau potable ne commence au 19ème siècle, les autres méthodes d'approvisionnement en eau étaient les plus répandues. Il s'agissait du puit, de la source et de la plus accessible de toutes : la collecte d'eau de pluie.

Comment la pratique de la collecte d'eau de pluie a-t-elle évolué en France depuis l'antiquité jusqu'à aujourd'hui en 2024 ?

L'eau de pluie: il y a rien de meilleur

"Cette eau [de pluie] est ordinairement la meilleure​ de toutes celles dont on peut user, soit pour boire, soit pour l’employer à plusieurs usages".

C'est ce qu'on peut trouver dans l'encyclopédie de Diderot et d'Alembert de 1753 dans l'article décrivant la citerne.

Il semble en fait que c'était souvent la préférence générale, ou pour le moins pendant la période romaine 1 et à la fin du moyen âge 2 et il est simple de comprendre pourquoi: avant l'avénement des réseaux de distribution d'eau potable la pluie est le seul système qui distribue naturellement une eau filtrée partout.

A l'inverse, les puits et les eaux de surfaces pouvaient facilement être mauvaises ou polluées et, certains lieux n'avaient accès à aucunes sources d'eau, notamment certains établissements clés comme les chateaux forts et les monastères.

Des traces de la collecte d'eau de pluie partout

Des impluviums des villas romaines aux aiguiers de Provence, en passant par les citernes des abbayes et chateaux-forts et les tonneaux des maisons parisiennes, la collecte d'eau de pluie a laissé des traces partout en France depuis l'antiquité jusqu'à nos jours.

La collecte de l'eau de pluie à l'époque romaine

L'époque romaine (50 av. J.-C. - 476 ap. J.-C.) a marqué le territoire de la France par l'architecture et les infrastructures de l'Empire romain. On a connaissance des grandes avancées réalisées par les romains en terme de gestion de l'eau : les aqueducs, les réseaux de distribution d'eau, mais ce sont principalement les maisons romaines qui nous informent sur la pratique de la collecte d'eau de pluie à cette période.

La villa romaine type était construite autour de cette pratique. 2 En son centre était batit l'atrium, une cour carré à ciel ouvert pour permettre à la lumière et la pluie d'y entrer. Le toit de la villa, était incliné vers cette cour pour que l'eau captée y ruisselle.

L'eau de pluie captée tombait par l'ouverture du toit, le compluvium, par des cheneaux, ou des conduites en poterie, dans un bassin situé au centre de l'atrium, l'impluvium. A partir de ce bassin, l'eau pouvait ruisseller vers une citerne entérrée où elle était stockée après être passée par un filtre composé de couches de graviers et de sable ou de charbon.

Une deuxième conduite pouvait rediriger l'eau depuis l'impluvium vers l'extérieur de la maison pour réguler les arrivées d'eau. Après un épisode de sécheresse, l'eau coulant du toit était souvent chargée de poussière et de saletés. Ce drain permettait de drainer cette eau sale vers l'extérieur pour protéger la qualité de l'eau de la citerne.

L'eau des toits périphériques de la villa pouvait aussi rejoindre la citerne par des rigoles de pierre et y entrer en passant par un filtre de plomb perforé 3.

La citerne, était maçonnée à partir d'opus signinum ou cocciopesto, une sorte de béton composé de fragments pilés de terre cuite.

L'eau était puisée dans la citerne par un seau ou une amphore au bout d'une corde puis était utilisée pour tous les usages domestiques et l'arrosage du jardin.

Implantées en grande quantités et partout sur le territoire pendant l'Empire romain, on trouve de nombreux vestiges de villas romaines équipées d'impluviums aujourd'hui en France.

On notera notamment celles de Vieux-la-Romaine dans le Calvados, de Chiragan, située à Martres-Tolosane en Haute-Garonne, du site de Glanum à Saint-Rémy-de-Provence dans les Bouches-du-Rhône, celle de Mané-Vechen, située à Plouhinec dans le Morbihan et celle du site antique de Vaison-la-Romaine dans le Vaucluse.

Photo de l'impluvium de la villa de Vieux-la-Romaine, Calvados
Photo de l'impluvium de la villa de Vieux-la-Romaine, Calvados
Crédit :
Urban

La collecte de l'eau de pluie au moyen-âge

Les habitations des chanoines de Viviers au 15ème siècle

L'archéologue Yves Esquieu nous a fournit un aperçu de l'état des systèmes d'alimentation en eau au 15ème siècle.

Il décrit les systèmes de récupération d'eau de pluie équipant de nombreuses maisons de chanoines dans le quartier de la cathédrale de Viviers (Ardèche).

Il justifie la fréquence de ces systèmes par d'une part l'impossibilité de creuser des puits sur le socle rocheux sur lequel était construit ce quartier et aussi par "la préférence souvent manifestée vers la fin du moyen-âge pour la consommation domestique, en faveur de l'eau de pluie, l'eau provenant des puits étant jugée, à juste titre, de qualité douteuse."

L'une des maisons, celle de la chapelle de Pretiosa, édifiée à la fin du 15ème était équipée du système suivant : Du toit, un cheneau se déversait dans une pierre creusée située un peu plus bas servant de réceptacle. De la pierre creusée, l'eau s'écoulait par une canalisation en terre-cuite, courant le long du mur du batiment jusqu'à une citerne entérrée voutée, profonde de 1,80 m (jusqu'à la naissance de la voûte), large de 2 m et longue de 2,40 m.

La maison voisine, celle de Sampzon, datant du 14ème siècle, était équipée du système suivant : Une citerne, profonde de 2,40 m, et large et longue d'environ 3,50 m, enduite d'un béton de tuileau rouge 4 était creusée sous la cour de la maison. La canalisation de descente d'eau de pluie est construite dans un des piliers de la cour. Un regard est construit dans le pilier pour permettre de boucher la canalisation pour évacuer la première eau de pluie sale. Sous le regard, un filtre à sable filtre l'eau de pluie avant qu'elle ne soit stockée dans la citerne.

La troisième maison décrite est la maison de La Gorce, équipée d'une citerne entérrée longue de 4 m, large de 3,15 m, haute de 2,45 m à la clef. La margelle de la citerne, permettant le puisage de l'eau est en pierre de taille. Il était possible de puiser de l'eau depuis le premier étage de la maison.

La collecte de l'eau de pluie à l'époque moderne

La collecte d'eau de pluie à Paris au 18ème siècle

La capitale française dépendait largement des eaux de pluies en raison de leur bonne qualité, ce qui n'était pas le cas de dixaines de milliers de puits qui parsemaient la ville.

Dans "La naissance de l'industrie à Paris : Entre sueurs et vapeur : de 1780 à 1930", l'historien André Guillerme relate l'omniprésence des systèmes de récupération d'eau de pluie dans la capitale et leurs usages. Il décrit les "tonneaux disposés au pied des murs, les citernes des belles demeures, et les reservoirs des grands établissements publics et religieux." Il estime qu'une centaine de milliers de mètres cubes d'eau pluviales sont receuillis et stockées dans ces citernes chaque année soit "en gros, un seau par personne et par jour".

Il énumère ses usages. "Elle est propre à la boisson et à la cuisine du noble comme du roturier, à la soupe du midi de l'artisan, au rinçage de la vaisselle et du linge du rentier, aux menus besoins de l'administration, aux jardins et aux parcs." Dans "Les Topiques" d'Isabelle Daëron, André Guillerme évoque les usages qu'en faisaient les artisans qui l'utilisaient pour tous leurs ouvrages : "tremper, rincer, macérer, diluer, dissoudre, décanter, fermenter, refroidir, laver, glacer…".

Il cite l'exemple de l'Hôtel du ministère des Finances situé 46 rue de Rivoli à Paris qui disposait en 1834 de reservoirs d'eau de pluie et de robinets de puisage à chaque étage.

Les aiguiers de Provence

Un aiguier est un citerne creusée dans la roche destinée à receuillir les eaux de pluie ruissellant sur la surface rocheuse qui l'entoure ou la précède.

Des principes de construction inchangés depuis l'antiquité

Les documents historiques décrivant les systèmes de collecte d'eau de pluie, ainsi que certains bâtiments anciens évoqués préalablement, nous permettent de comprendre la manière étaient concus les systèmes de collecte d'eau de pluie à différentes époques.

Il est passionnant de constater que les principes fondamentaux de ces systèmes ont peu changé.

Les composants du système

Quel que soit sa forme, les systèmes de collecte d'eau de pluie semblent depuis toujours avoir été composés de 4 élements principaux. La surface de captage de l'eau de pluie, le descente, le pré-filtre et la citerne.

La surface de captage

La descente du toit à la citerne

Dans la villa romaine, l'eau de pluie tombait du toit par des cheneaux ou des conduites en poterie, dans l'impluvium, un bassin situé au centre de l'atrium.

Le pré filtre

Pour stocker une eau de pluie propre capable d'être conservée longtemps, les systèmes comprenaient dès l'antiquité un pré-filtre dont la fonction était de recevoir l'eau de pluie, de la clarifier de ses impuretés avant qu'elle soit stockée dans la citerne.

Dans les villas romaines, le pré-filtre, situé en sortie de l'impluvium, était composé de couches de gravier et de sable.

Dans son Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle, rédigé entre 1854 et 1869, Viollet-le-Duc décrit ceux trouvés dans les abbayes et les chateaux du moyen-âge.

Appellés citerneaux, il les décrit comme des "auges percées de trous latéraux", remplie de gravier et de charbon, placées au dessus de la citerne, en sortie des cheneaux.

Gravure représentant un citerneau
Gravure représentant un citerneau
Crédit :
Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle, Viollet le Duc

D'après l'encyclopédie de Diderot et d'Alembert de 1753, le matériaux recommandé pour cette filtration était plutôt le sable de rivière grâce auquel l'eau "se conserve plusieurs années sans se corrompre".

La citerne

Le reservoir de stockage de l'eau de pluie pouvait prendre plusieurs formes.

Elle pouvaient être creusées dans la roche comme dans les aiguiers, ou maconnées.

Notes

  1. "Il n'y a point de meilleure eau que celle de la pluie...". Vitruve, De architectura, Livre VIII, Chapitre II, "De l'eau de pluie et ses qualités", 1er siècle avant J.-C.

  2. Yves Esquieu, "L’alimentation en eau des chanoines et clercs de la cathédrale de Viviers (Ardèche) à la fin du Moyen Âge", 1998 2

  3. The World of Pompeii de John J. Dobbins, Pedar W. Foss, Chapitre 16 "The Water System"

  4. Le béton de tuileau rouge est un mortier de chaux additionné de fragments pilés de terre cuite, qui a pour propriétés une très bonne étanchéité.

Et vous, quelle eau de pluie pouvez-vous collecter chez vous ?

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